Alain Deneault à la Chambre des Communes

Parliament2Déposition
Comité des Finances
Chambre des Communes
Canada, 17 juin 2013
Étude du projet de loi S-18

Mesdames, Messieurs les parlementaires,

Nous assistons à l’échelle internationale, principalement en Occident mais aussi ailleurs, à une prise de conscience sur l’importance de lutter non pas seulement contre la fraude fiscale mais contre les effets des paradis fiscaux en tant que des États permettent qu’on y recoure légalement.

Les populations, certains chercheurs et certaines organisations civiques y sont pour beaucoup. L’OCDE a fixé des normes d’action pour ses pays membres, parmi lesquels on compte le Canada, qui sont certes timides et fort insatisfaisantes, mais qui restent néanmoins encourageantes quant à la prise de conscience publique et politique qu’elles traduisent. Nous pouvons nous féliciter de ces avancées et souligner l’apport de tous les gens de bonne volonté qui y ont contribué.

Cela dit, les mesures proposées au titre de l’échange d’informations fiscales avec le Canada sont manifestement inefficaces. Le modèle de l’OCDE que le Canada reprend est inopérant. La raison, c’est l’ambassadeur suisse auprès du Canada qui l’explicite, dans sa déclaration inscrite dans le projet de loi, à savoir que la demande d’information que chercherait à obtenir en vertu de cette entente un agent canadien auprès de la Suisse est soumise à un « protocole interprétatif » très lourd. Je cite Monsieur l’ambassadeur : « Ces dispositions contiennent d’importantes exigences de procédure qui ont pour but d’empêcher la pêche aux renseignements (fishing expedition) ».

Cela revient à dire que c’est seulement lorsqu’on détient d’emblée les informations que l’on souhaite obtenir qu’un paradis fiscal comme la Suisse lève le secret bancaire. Il faut, autrement dit, se retrouver face au cas de l’ex-ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, où les confirmations de la détention d’un compte en Suisse par l’intéressé se sont trouvées confirmées par les autorités helvétiques, au moment où tout le monde était au fait de l’information. On se trouve donc encore aujourd’hui au même stade que déplorait en 2004 le député français Vincent Peillon, une telle logique « conduit à n’accorder l’assistance que lorsque les preuves sont déjà en possession des enquêteurs » (Vincent Peillon, Les Milliards noirs du blanchiment, Paris : Hachette, 2004, p. 55 et 56.). On est donc très loin du projet d’échange automatique d’information qui est requis pour mettre vraiment fin au secret bancaire.

L’accord fiscal entre le Canada et Hong Kong compris dans le projet de loi me paraît très problématique. Il ne porte pas seulement sur les revenus des particuliers mais également sur celui des entreprises. L’article 5 de l’accord précise qu’on inclut strictement dans cette catégorie les sociétés canadiennes qui mènent une activité économique réelle à Hong Kong. Il s’agit de ne pas imposer des revenus qui ont déjà été sujets à l’impôt à Hong Kong, lorsqu’une filiale canadienne transfère ces revenus au Canada. Considérant que maintes entreprises occidentales sont à Hong Kong pour profiter des faibles impôts et des faibles salaires qui y sont prévus, l’accord permettra à des entreprises canadiennes qui mènent des opérations industrielles à Hong Kong, tout en n’y payant des impôts qu’à la marge, de transférer au Canada les revenus de leurs activités sans y payer d’impôts. Politiquement, cela revient en clair pour le Canada à reconnaître Hong Kong comme une zone franche industrielle permettant la délocalisation des entreprises et nuisant aux travailleurs du monde entier.

Au chapitre de l’échange de renseignements fiscaux avec Hong Kong, le Canada ne se donne pas les moyens de sa volonté. Il ne peut au vu de la loi, dans des cas très précis, obtenir que des informations que l’administration de Hong Kong possède déjà. Je cite brièvement le projet de loi : « Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à une partie l’obligation (…) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation. » Or à Hong Kong, la loi sur les trusts est ainsi faite que le gouvernement ne détient aucune information sur leurs activités ou sur les bénéficiaires réels. Je vous lis à cet égard un texte de référence sur les trusts de Hong Kong : « Documents do not have to be registered and there are no statutory requirements in Hong Kong for a trust to make annual returns, submit audited financial statements, etc., unless it is carrying on business in Hong Kong. »

Autrement dit, l’administration de Hong Kong se place en position de ne pas connaître qui sont les bénéficiaires des trusts créés chez elle.
Je reste disponible pour toute question.

Alain Deneault
Intervention faite pat vidéoconférence depuis Paris
Le 17 juin 2013

À propos Alain Deneault

Membre du Réseau justice fiscale, auteur de Paradis fiscaux, L’aveuglement volontairedu ministère québécois des Finances (Secrétariat intersyndical des services publics, 2012) et d’Offshore, Paradis fiscaux et souveraineté criminelle (Écosociété 2010).

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