La Malédiction financière

patlucasoccupationjerseyDans une récente publication du Tax Justice Network, John Christensen et Nicholas Shaxson présentent la très intéressante thèse selon laquelle l’industrie financière provoquerait, là où elle sévit, l’équivalent de la malédiction des ressources naturelles.

Pour soutenir une telle affirmation, ils arrivent à montrer que les maux qui assaillent les pays ayant une économie radicalement orientée vers l’industrie financière sont similaires à ceux dont l’économie est tournée vers les matières premières. On assiste dans les deux cas de figure à une financiarisation de l’économie, au développement du mal hollandais, à l’« exode des cerveaux », à un accroissement des inégalités, à une augmentation de la corruption ainsi qu’à une recrudescence de la recherche de rente. Lorsqu’une industrie financière de taille devient démesurée dans une économie, elle cesse d’être une bénédiction (comme outil de répartition, d’organisation, d’évaluation des investissements) pour se faire au contraire de plus en plus corrosive dans la société qu’elle occupe. Cela s’explique du fait de la centralisation du pouvoir qu’elle génère. L’immense quantité de capital provenant d’une industrie unique contribue à corrompre le système. Les politiciens se mettent à ne centrer leur attention et leurs efforts que sur les entreprises du domaine en question. L’innovation dépérit alors par l’homogénéisation de la production économique. L’économie est ainsi de moins en moins diversifiée (même si la rhétorique politique reste tournée vers cette dernière) et se concentre autour des institutions de la finance. Le vocabulaire politique se transforme pour s’adapter à la nouvelle réalité économique. La croissance diminue. Enfin, la nation hôte de cette industrie souffre de sa présence.

Il faut comprendre ici que les auteurs ne présentent pas un texte rejetant absolument les bienfaits de la finance. Ils reconnaissent les avantages des banques et des autres institutions financières dans l’économie, mais seulement lorsque celles-ci n’ont pas un pouvoir trop important. Les exemples qu’ils citent fondent leurs craintes. Les petites « nations » du pacifique, pour qui l’industrie financière peut représenter plus de la moitié du PIB, se trouvent « capturées » par le monde de la finance. Elles le sont comme certains pays peuvent l’être lorsque sujets des oligarques du pétrole. Cependant, les auteurs ne souhaitent pas seulement pointer du doigt ces nations ayant historiquement évolué dans cette position, mais ils veulent plutôt montrer comment ce danger est systémique, c’est-à-dire qu’il peut frapper quelque pays que ce soit qui se montre complaisance à l’endroit du monde de la finance. Le Royaume-Uni, pays d’inscription du Tax Justice Network, souffre, selon eux, depuis longtemps de cette malédiction. Il serait temps que les gouvernements de Sa Majesté partent à la recherche d’une solution, c’est-à-dire un moyen pour se défaire de l’emprise de plus en plus puissante des grandes institutions financières.

Pour en revenir au texte, il est clair, détaillé et critique. Ses arguments sont variées, quoi que parfois mal organisés (on mélange si facilement des arguments solides avec des anecdotes) et saisissent bien l’ampleur du problème par le ton dont il fait preuve. En effet, la question de la « malédiction financière » ne se résume pas à la régulation d’une industrie ou à quelques considérations sur la croissance, mais elle concerne un système plus global qui le renforce et le supporte. Il n’y a pas que la «performance» économique qui importe lorsque l’industrie financière d’un pays commence à prendre une place démesurée, mais aussi une analyse plus ambitieuse prenant en compte le contexte mondialisé. Il ne faut pas se surprendre que cette publication provienne d’une organisation s’intéressant à la question des paradis fiscaux, car la malédiction dont nous parlons est bien celle qu’imposent ces souverainetés offshores.

Gabriel Monette, Réseau justice fiscale

À propos Alain Deneault

Membre du Réseau justice fiscale, auteur de Paradis fiscaux, L’aveuglement volontairedu ministère québécois des Finances (Secrétariat intersyndical des services publics, 2012) et d’Offshore, Paradis fiscaux et souveraineté criminelle (Écosociété 2010).

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